L’année 2020 marque le 40ème anniversaire de l’Écomusée du fier monde. C’est une occasion de rappeler certaines des grandes étapes du développement de notre institution.

Bonne lecture!

Des visiteurs dans la première exposition de l'Écomusée : Du marché d'hier au musée de demain
Première exposition de l’Écomusée : Du marché d’hier au musée de demain
Photo : Écomusée du fier monde

Les débuts de l’Écomusée du fier monde

Dans les années 1970, le quartier Centre-Sud, jusque-là un bastion industriel de Montréal, est en pleine période de désindustrialisation, de déclin démographique et de crise économique. La population se mobilise autour de groupes communautaires pour offrir des services, développer l’entraide et défendre des droits. Un de ces groupes, les Habitations communautaires Centre-Sud, a pour mandat de développer des coopératives d’habitation.

C’est dans cet organisme qu’émerge en 1980 l’idée d’un musée pour le quartier : une « Maison du fier monde », qui prendra le nom d’écomusée lors de son incorporation. Cela fait de notre institution un cas unique au Québec d’un triple point de vue. Il n’existe pas d’autre musée trouvant son origine dans ce type d’organisme. C’est le premier écomusée en milieu urbain. De plus, raconter dans un musée l’histoire du travail et de l’industrialisation est novateur.

Dès sa création, l’Écomusée développe un lien spécial avec le public : il raconte l’histoire des quartiers populaires urbains et de la vie quotidienne des familles ouvrières, jusque-là ignorés par la majorité des musées au Québec.

 

Témoigner de l’histoire du quartier : Entre l’usine et la cuisine

Entre l'usine et la cuisine, 1984
Entre l’usine et la cuisine, 1984

La participation est au cœur du mouvement de la nouvelle muséologie dont s’inspirent les écomusées. Il en est de même pour le « fier monde », d’autant plus que notre écomusée est proche du mouvement de l’éducation populaire qui anime le Québec depuis les années 1960.

Cette participation va prendre plusieurs formes selon les époques et les projets. Dès le début des années 1980, c’est comme source que la population est appelée à contribuer.

En effet, les personnes possèdent des sources, que ce soient des documents, des photos ou des objets, qui témoignent de leur vie, de leur travail et de leur quartier. Les personnes constituent également des sources ; elles peuvent raconter leur histoire de vie, partager leurs souvenirs, transmettre leurs savoir-faire. Par exemple, l’exposition Entre l’usine et la cuisine, présentée en 1984, et la publication qui l’accompagne, s’appuient sur des entrevues réalisées auprès d’une quarantaine de femmes du quartier afin de reconstituer l’histoire des femmes ouvrières sur plusieurs générations. Les photos et les objets présentés provenaient également de leurs archives personnelles.

L’Écomusée du fier monde en retient pour la suite de ses projets que faire participer les gens comme source est essentiel pour retracer la vie quotidienne dans un milieu populaire et pour présenter des expositions chaleureuses et vivantes.

 

Publication Exposer son histoire
Publication Exposer son histoire

Faire de la recherche et la diffuser : Exposer son histoire

Au fil des ans, l’Écomusée a développé de nombreux projets d’expositions participatives. Ce sont des projets dans lesquels des groupes font leur propre recherche et contribuent à toutes les étapes de réalisation d’une exposition. 

Notre source d’inspiration est le Suédois  Sven Lindqvist qui a publié en 1978 Gräv där du stär (Creuse là où tu es). Il s’agit d’un manuel pour aider les non professionnels de la recherche à faire leur propre histoire, en particulier, l’histoire de leur travail.

Lors de son passage au Québec en 1983 il a rencontré les promoteurs de l’Écomusée du fier monde. En s’inspirant de son approche, et avec l’aide du Service aux Collectivités de l’Université du Québec à Montréal, l’Écomusée a publié en 1990 son adaptation de ce manuel : Exposer son histoire. M. Lindqvist a signé l’avant-propos de cette publication et affirme : « Si des gens ordinaires…peuvent chanter, faire de la peinture, de la musique…pourquoi ne pourraient-il pas faire des recherches sur leur propre histoire ?…Une telle recherche est nécessaire, car si les gens ordinaires ne la font pas, personne ne le fera, et cela est particulièrement vrai pour l’histoire des lieux de travail. »

Exposer son histoire a reçu le prix Publication de la Société des musées québécois en 1991. Ce projet a contribué à la notoriété et à la crédibilité de notre institution.

 

Une nouvelle étape : l’Écomusée au bain Généreux

Inauguration de la relocalisation de l’Écomusée au bain Généreux, en présence de Bernard Tremblay, président de l’Écomusée, Pierre Bourque, maire de Montréal et Serge Ménard, ministre d’État à la métropole, 1996. Écomusée du fier monde
Inauguration de la relocalisation de l’Écomusée au bain Généreux, en présence de Bernard Tremblay, président de l’Écomusée, Pierre Bourque, maire de Montréal et Serge Ménard, ministre d’État à la métropole, 1996.
Écomusée du fier monde

Jusqu’en 1996, nous avons été un musée sans domicile fixe. Les premières réunions du comité sur le projet de musée en 1980 ont eu lieu dans les locaux des Habitations communautaires Centre-Sud sur la rue Robin à l’angle de Beaudry.

La première exposition en 1981, puis la suivante, se sont tenues au Comité social Centre-Sud, où l’Écomusée a occupé une ancienne salle de classe.
En 1983, il s’est installé au 1930 rue de Champlain, dans l’ancienne biscuiterie David devenue le Conseil Central de Montréal de la Société Saint-Vincent-de-Paul, puis au 3e étage de l’ancienne école Saint-Eusèbe à compter de 1984.

Pourtant, dès le début, les promoteurs du projet souhaitaient un établissement pérenne et permanent. De nombreuses hypothèses ont été envisagées : le marché Saint-Jacques, les anciennes écoles Lartigue et Plessis, les usines abandonnées Raymond et Dominion Rubber.
Grâce à l’appui de la Ville de Montréal, le projet s’est finalement concrétisé. L’ancien bain Laviolette a d’abord fait l’objet d’une étude, et c’est finalement au bain Généreux que l’Écomusée a ouvert ses portes au public en septembre 1996, avec le statut de musée accrédité par le ministère de la Culture. 

Cette date marque une nouvelle étape dans le développement de l’Écomusée comme institution muséale à part entière qui s’est alors méritée des prix d’excellence de Sauvons Montréal, de l’Association québécoise d’interprétation du patrimoine et de la Société des musées québécois. Cela a également permis de conserver et de garder une vocation publique à ce magnifique bâtiment, témoin de l’époque où la majorité des logements ouvriers n’avaient ni bain, ni douche.

 

L’Écomusée et l’alphabétisation : ABC et travail

initiation au travail de recherche, 1999
Lorenzo Irrazabal et Jean-Paul Chiasson sont initiés à la recherche en bibliothèque, 1999.
Photo: Écomusée du fier monde

Depuis plus de 20 ans, l’Écomusée développe avec un organisme du quartier, L’Atelier des lettres, des projets permettant à des personnes en processus d’alphabétisation de faire leur propre exposition.

Le tout premier projet, ABC et travail, a également permis de réaliser une publication dans laquelle témoigne un participant : « C’était la première fois que j’entrais dans un musée…Nous avons lancé des cartes d’invitation. J’ai été surpris, je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde. Le projet a duré 6 mois, on s’est beaucoup promené, on est allé à la bibliothèque, c’était la première fois pour moi.  Je ne pensais jamais que c’était pour m’arriver, j’ai trouvé ça merveilleux. En dedans de moi, je me sentais content et fier…savoir lire et écrire c’est comme une mine d’or. » 

Ce projet a été suivi de nombreux autres : Jours de fête, Histoire d’alphabétisation (qui marquait le 20e anniversaire de l’Atelier des lettres), Citoyens à part entière ou encore La parole est à nous. Dans ce dernier projet, les personnes qui ont participé au projet sont également devenues des guides animateurs auprès du public.

Notre exposition permanente présente d’ailleurs le travail réalisé avec ce groupe au moyen d’une murale regroupant portraits, photos du quartier et textes des participants. Le public de l’Écomusée peut donc constater comment la muséologie peut être une ressource utile en alphabétisation et une source d’empowerment.

 

Une mise en valeur de la mémoire des laitiers montréalais : Run de lait

Visiteurs avec Edmond Durocher, exposition Run de lait, 2010
Monsieur Edmond Durocher, un ancien laitier qui a participé aux entrevues, venait régulièrement rencontrer les visiteurs de l’exposition Run de lait pour leur raconter les secrets du métier, 2010.
Photo: Écomusée du fier monde

L’Écomusée revendique une expertise incontournable dans la pratique de l’histoire. Depuis sa création, l’institution entretient des liens étroits avec des ressources universitaires et a participé à de nombreux projets de recherche qui lui ont permis de produire et de diffuser de nouvelles connaissances historiques.

Même si son territoire d’enquête privilégié demeure le Centre-Sud, l’Écomusée aborde des thématiques qui se déploient à l’échelle de la métropole. Au cours des dernières années, l’histoire de l’alimentation, mais surtout de la transformation alimentaire, s’est imposée comme un axe de recherche important.

Présentée en 2010, l’exposition Run de lait s’appuyait sur un vaste chantier de recherche dirigé par Joanne Burgess, professeure au département d’histoire de l’UQAM. En plus d’une exploration rigoureuse de diverses sources d’archives, le projet impliquait une cueillette de témoignages réalisée auprès d’une vingtaine d’anciens travailleurs et d’anciennes travailleuses de l’industrie laitière montréalaise, dont de nombreux laitiers.

L’exposition qui en a résulté a connu beaucoup de succès auprès du public. Elle a ensuite été présentée dans plusieurs maisons de la culture à Montréal et dans d’autres institutions muséales de la région.

 

Déficience intellectuelle et création : D’un œil différent

Bannière D'un oeil différent
Bannière de D’un œil différent, 2019
Photo : Maude Blanchet-Léger, Écomusée du fier monde

Bien que l’Écomusée se définisse comme un musée d’histoire, il a toujours développé un volet artistique lié à sa mission. D’une part, des créateurs ont souvent été associés à la mise en forme des expositions, comme on peut le constater depuis 1996 dans l’exposition permanente À cœur de jour grandeur et misères d’un quartier populaire.
D’autre part, l’Écomusée s’associe également à des projets artistiques comme l’événement annuel D’un œil différent depuis 2009.

D’un oeil différent est une exposition d’œuvres d’art réalisées par des personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme (DI-TSA) présentée en mars de chaque année.

Environ 200 artistes provenant d’une dizaine d’organismes proposent leurs œuvres. De nombreuses activités de médiation culturelle complètent la programmation : visites guidées, conférences, témoignages et ateliers de création. De plus, le vernissage de l’exposition coïncide depuis quelques années avec le lancement de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle.

C’est une façon pour l’Écomusée de sensibiliser le public à la réalité des personnes vivant avec une DI-TSA, de faire œuvre de démocratie culturelle en faisant une place au plus grand nombre comme exposant et de remplir sa mission de musée citoyen.

 

S’ouvrir à toutes les cultures : Peuple de l’œil

Exposition Peuple de l'oeil
Exposition Peuple de l’oeil – 160 ans d’histoire de la communauté sourde, 2016
Photo : David Lacombe, Écomusée du fier monde

La démocratie culturelle s’appuie sur le postulat qu’il n’existe pas qu’une seule Culture, avec un grand C, mais plusieurs, liées à divers  groupes. L’Écomusée a réalisé de nombreux projets pour mettre en valeur ces cultures parfois oubliées par les musées.

Un exemple est l’exposition Peuple de l’œil – 160 ans d’histoire de la communauté sourde, en partenariat avec la Société culturelle québécoise des sourds. Le titre fait référence à l’importance du regard dans le rapport au monde pour ces personnes.

L’exposition retraçait les grandes étapes de l’histoire de la communauté sourde à Montréal, présentait certains personnages clés comme Raymond Dewar, qui a fait un travail important pour la reconnaissance de la culture sourde, et intégrait les œuvres de plusieurs artistes de la communauté sourde.

L’exposition présentait les personnes sourdes non pas comme des handicapés qu’il faut «soigner » et intégrer à sa société, mais comme un groupe ayant sa propre langue et une culture spécifique  L’ensemble du projet avait la particularité d’être quadrilingue : Langue des signes québécoise (LSQ), American Sign Language (ASL) et bien sûr, français et anglais !

Présentée à l’Écomusée en 2016, puis en itinérance ailleurs au Canada, l’exposition était accompagnée de nombreuses activités de médiation : visites commentées, conférences, projections, ateliers de création, table-ronde, spectacles, etc.  Par ce projet, le public de l’Écomusée pouvait découvrir le concept de sourditude : « être sourd, c’est une identité culturelle propre », et constater comment notre institution tente de faire une place à des cultures diverses.

 

Vue de l'exposition InterReconnaissance - Une mémoire citoyenne se raconte
Exposition InterReconnaissance – Une mémoire citoyenne se raconte
Photo : Daphnée Bouchard, Écomusée du fier monde

Faire une place aux groupes minorisés :
InterReconnaissance : Une mémoire citoyenne se raconte

Se définissant comme musée citoyen, notre institution tente de conserver et de mettre en valeur les traces du mouvement associatif qui a marqué les quartiers populaires montréalais depuis le début des années soixante, mais dont on trouve parfois des racines depuis le début du siècle passé.

Pour faire face à des défis de divers ordres, la population s’est regroupée pour offrir des services, revendiquer et parfois mener des luttes. Parmi celles-ci, notons la mobilisation pour la reconnaissance des droits.

Le projet InterReconnaissance – une mémoire citoyenne se raconte, présenté à l’Écomusée en 2018, reposait sur un vaste projet de recherche universitaire s’intéressant à 5 groupes minorisés : les femmes, les personnes issues de l’immigration, les personnes présentant un handicap ou vivant avec un problème de santé mentale et la communauté LGBT.

Des dizaines d’entrevues ont été réalisées pour recueillir les témoignages des personnes ayant été des acteurs clé dans les organismes liés au mouvement de défense des droits. De très nombreux documents, objets et photos ont aussi été amassés.

De plus, le projet s’est intéressé aux artistes qui ont accompagné le mouvement citoyen par leurs œuvres, que ce soit des dessins, des affiches, des chansons, des pièces de théâtre, etc. L’exposition présentait donc les histoires derrière l’Histoire, était un rappel de l’importance des luttes, et faisait œuvre de mise en valeur d’une portion originale de notre patrimoine. Par ce projet l’Écomusée manifeste sa volonté de faire une place aux groupes minorisés qui ont trop souvent été négligés par les institutions muséales.